« Pour vivre cette spiritualité du Sacré-Coeur, j’essaie d’entretenir une amitié avec Jésus, tout d’abord en prenant le temps chaque jour, d’écouter ce qu’il a dit et me redit et de réfléchir sur sa façon d’entrer en relation avec les autres. »
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Soeur Anne-Monique a 93 ans et vit actuellement dans une communauté de Lyon. Selon son expression “ J’ai donc une longue vie derrière moi qui a vu d’énormes et perpétuels changements. Je dis bien “perpétuels changements” parce que ma vie a consisté à m’adapter sans cesse à de très importants changements et a aussi été très marquée par la guerre de 1939 – 45.”
“Je suis la dernière-née d’une famille de 4 enfants. Mon père était ingénieur chimiste, et ma mère était mère de famille tout simplement. Papa était un pur normand de Honfleur et Maman était bretonne-angevine, mais tous deux ont toujours vécu à Paris. Si bien que, moi, je suis normande par le sang, mais je n’ai jamais vécu en Normandie.
Dès ma naissance, j’ai passé 2 – 3 mois à Nevers, puis 3 années à Lyon, puis tout le reste de ma vie, jusqu’à mon entrée au Noviciat, à Paris. J’aime énormément Paris, c’est une ville magnifique où je suis très à l’aise. C’est là que j’ai pratiquement tous mes souvenirs.
En tant que petite dernière de ma famille, j’ai été très choyée par maman. D’autant plus que lorsque j’étais toute petite, j’ai eu des rhumatismes articulaires dont je souffrais beaucoup ; donc Maman s’est énormément occupée de moi : elle ne m’a pas mise à l’école toute petite, c’est elle qui m’a appris à lire et à écrire.
Dans l’intimité, j’étais une petite fille très gaie, sportive, le patinage à roulettes occupait tous mes mercredis et dimanches matin. Je n’aimais pas jouer à la poupée parce qu’elles ne bougeaient pas et ne me parlaient pas, il me fallait un interlocuteur et puis il fallait que ça bouge. En-dehors de la maison, je me montrais très timide. En fait, j’avais 2 façades et j’ai souffert de cette timidité très longtemps, elle m’a beaucoup gênée.”
“Pour ma part, j’ose dire que je suis née avec le désir de consacrer entièrement ma vie à Dieu. Il me semble que j’ai toujours ressenti un appel du Seigneur à me donner totalement à lui. J’en ai pris conscience toute petite, disons vers 5 – 6 ans.”
“D’abord, Maman qui formait ses enfants à la prière dès leur plus jeune âge : chaque soir, elle venait prier avec nous dans notre chambre. Ça me donnait le sens de Dieu.
A l’école du Sacré-Coeur, dans les années où j’étais en 4e et 3ème, chaque année, il y avait 3 jours de
retraite spirituelle où j’étais très heureuse. J’y relisais la vie de sainte Thérèse, de l’enfant Jésus qui me passionnait.”
“Lorsque j’apercevais une religieuse dans la rue, c’était, la plupart du temps, une sœur de St Vincent de Paul ou de la Sagesse, je sentais dans mon cœur d’enfant, un très vif appel à me donner à Dieu comme elles. C’était in
stinctif, c’était en moi. Souvent j’entends dire qu’à l’adolescence, il y a “la crise d’adolescence”, moi, sur le plan religieux, je n’ai pas vécu cette crise. J’avais conscience, que si je ne répondais pas à cet appel, je ratais ma vie : le Seigneur m’offrait cette vie, elle était donc la meilleure pour moi.”
“En 1945, lorsque les Américains ont débarqué en France : mes parents m’ont envoyée, avec mes frère et sœurs, à la campagne de crainte qu’il y ait de rudes combats dans Paris.
Un jour, nous avons décidé d’aller chez des amis, mais pour aller chez eux, il fallait traverser des champs. Vers 17 h, alors que nous prenions le chemin du retour et que nous traversions les champs, nous entendîmes des balles siffler à nos oreilles. Nous avions très peur, nous nous sommes couchés dans les sillons et Maman s’est mise à nous préparer à la mort. Alors moi, je parlais au Seigneur et je lui disais “Mais enfin, c’est très curieux : vous m’avez toujours donné le désir de vivre ma vie dans la vie religieuse et, maintenant, je vais mourir, comment cela se fait-il ?”. Quand la nuit est arrivée, les tirs se sont arrêtés et nous nous sommes réfugiés chez des voisins. Ma vie a repris, mais toujours avec ce désir de consacrer ma vie au Seigneur.”
“Autour de mes 18 ans, je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’oriente ma vie, mon appel était devenu extrêmement fort et devenait toujours de plus en plus fort. C’était toujours un appel à me donner totalement à Dieu, mais sans précision sur le genre d’apostolat et je connaissais très mal la vie religieuse.
Comme je suivais mes cours au Sacré-Cœur, je me suis confiée à une religieuse qui m’a aidée à y voir clair : comme j’étais très heureuse avec les religieuses que je voyais à l’école, j’ai choisi cette congrégation et ne l’ai jamais regretté. Mon désir profond était de suivre le Seigneur, que ce soit là ou là.
Quand l’heure fut arrivée de quitter la maison, après un agréable repas en famille, j’ai changé de vêtements et lorsque j’ai ouvert la porte de l’appartement et que j’ai commencé à descendre les escaliers, je ne sentais pas les marches de l’escalier, je volais. C’était extraordinaire.
À ce moment-là, j’ai vraiment vécu une parole de Jésus dans l’Évangile de Luc 21:15 : “Mettez-vous donc dans l’esprit de ne pas préméditer votre défense ; car je vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront résister ou contredire.”. C’est-à-dire que j’ai senti que, comme je répondais de tout cœur à un appel du Seigneur, j’avais tout ce qu’il fallait en moi pour le vivre.
Quand je suis arrivée au noviciat, mon bonheur était immense : j’avais écouté Dieu, j’avais fait le premier pas mais tous les autres restaient à faire !!! J’avais à découvrir le Seigneur en profondeur, à le suivre sur le chemin qu’il m’avait fait entrevoir et à apprendre à donner aux autres le goût de Dieu.”
“Quand je cherche à définir une personne, il m’arrive de dire qu’elle a “un cœur d’or”, je veux dire par là que cette personne a une grande sensibilité, qu’elle ressent les joies et les peines des autres et, non seulement elle le témoigne par des paroles, mais elle agit en conséquence.
Alors pour moi, le Christ a un cœur d’or. Enfin, c’est quand même inouï de penser que Dieu nous aime autant.
Alors pour moi, vivre la spiritualité du Sacré-Coeur au quotidien, c’est d’abord choisir de vivre en lien profond d’amitié avec lui, parce qu’il m’a prouvé qu’il m’aime tant, qu’il sera toujours à la rescousse pour m’aider à vivre une belle vie. C’est-à-dire une vie, non pas sans échec, mais une vie en rebonds perpétuels, et ça, j’insiste beaucoup là-dessus.
Pour vivre cette spiritualité du Sacré-Coeur, j’essaie d’entretenir une amitié avec Jésus, tout d’abord en prenant le temps chaque jour, d’écouter ce qu’il a dit et me redit et de réfléchir sur sa façon d’entrer en relation avec les autres. Je parle intérieurement avec lui comme avec mon meilleur ami, car il est mon meilleur ami, il me l’a prouvé. La plupart du temps, je parle avec lui avant d’entreprendre quelque chose d’important comme une rencontre avec quelqu’un. Je lui parle de tout ce qui touche à la relation ou de toute autre occupation, aussi banale soit-elle, comme un repas à préparer ou une promenade à faire. Autrement dit, je parle avec lui comme avec un ami.
Alors une belle vie : qu’est-ce à dire ? Pour moi, avec mes 93 ans, c’est une vie toute simple, mais avec la conviction que le jour de mon baptême, quand j’étais enfant, Dieu a déposé en moi son esprit sain, son propre amour. J’ai donc en moi, le pouvoir d’aimer avec l’amour même de Jésus, et c’est ce que Jésus me demande de vivre : de vivre de bonnes relations avec les autres, c’est ce qu’on appelle la charité.
Ma vie est belle dans la mesure où j’essaie de vivre cela. Je dis bien “j’essaie”, car les échecs sont très nombreux. C’est loin d’être facile de toujours accueillir l’autre avec bienveillance, de ne pas juger, de rendre un service alors qu’on voudrait lire le journal, de sourire malgré sa mauvaise humeur, mais la beauté d’une vie, n’est-elle pas dans les reprises perpétuelles ? Le Seigneur ne se décourage jamais des échecs et nous aide à rebondir. Voilà ma façon de vivre la spiritualité Sacré-Coeur : toujours rebondir, de mettre l’accent sur la charité, sur la bonté avec les autres.”
“Non seulement, c’est de vivre en bonne entente avec les autres, mais aussi de voir les autres en bonne entente, j’ai horreur de voir les gens se chamailler.
C’est aussi donner de la joie aux autres. En ce moment, j’aide une religieuse africaine à apprendre le français : j’ai une joie immense quand, après qu’elle m’ait confié une difficulté, elle me dit : « ça y est, j’ai compris » ; je devine sa joie qui l’aidera à remplir la mission qui lui est confiée.
« En fait, ce dont je veux toujours convaincre, c’est que Dieu veut notre bonheur : le bonheur de se savoir aimé et d’aimer. Qu’y a-t-il de plus beau et bon? Si l’on n’est pas attentif à cet appel que l’on a en soi, on ne choisit pas forcément le bon chemin. Donc il faut écouter en soi ces appels qui feront qu’on se sentira heureux dans la vie. Il ne faut pas avoir peur d’en parler à quelqu’un, parce qu’il faut discuter pour y voir clair et aller jusqu’au bout.
Si je n’avais pas été au bout de mon appel, je penserais que je ratais ma vie. Actuellement, je me dis que, même si j’ai fait des tas de bêtises, si j’ai eu des tas d’échecs, je réussis ma vie, parce que je cherche malgré tout à répondre à cet appel et que Dieu ne cessera jamais de m’aimer.
J’ai fait une expérience avec des enfants de 5ème durant la catéchèse : un jour, je leur ai dit “Aujourd’hui, vous allez prendre une feuille de papier et écrire tout ce que vous aimez dans la vie”. Il y en a qui ont écrit des pages entières, de leurs parents jusqu’au petit lapin, en passant par la poupée, le petit frère, la bicyclette, courir, marcher en montagne, enfin tout ! Une fois qu’ils avaient fait ça, je leur ai dit : “Maintenant, vous allez barrer ce que vous accepteriez qu’on vous enlève, mais gardez bien pour vous ce à quoi vous tenez le plus.” Je peux dire que 99 fois sur 100, la chose qui restait écrite sur le papier, c’était être aimé.”